Une avancée progressive et lente
Dans l’Antiquité les médecins observent, décrivent, contemplent et interprètent. Il y a peu de moyens scientifiques, seule l’intelligence compte. Cependant ils parviennent à constater, sans en trouver la cause, les symptômes d'une maladie mortelle qui va être très longtemps étudiée jusqu'à ce qu'un traitement efficace soit trouvé dans les années 1920.
Le mireur d'urines, musée des Beaux-Arts, Orléans
C'est d'abord en Chine, trois mille ans avant J.-C ., que plusieurs descriptions de patients susceptibles d’être atteints de diabète ont été retrouvées mais restent discutables. Plus tard, vers l’an 200 Chang Chung-Chin décrit l’abondance des urines, la soif et l’amaigrissement, principaux symptômes du diabète.
La médecine indienne constate également dans le Susrutashamita datant de 500 avant J.C. ,grâce à ses médecins qui étudient particulièrement les urines, que le les grosses fourmis sont friandes de certaines urines en particulier : ils parlent ainsi de leur goût sucré. Cependant, on ne retrouve pas dans leurs écrits de description complète de la maladie du diabète car le sucre des urines était associé à l’abus de nourriture contenant des aliments sucrés, les malades étant issus de castes riches.
"Saushrutas'‘ s'exerçant à la chirurgie sur des fruits et des légumes
C'est grâce à la médecine Égyptienne, bien connue pour sa richesse dans l'Antiquité, qu'on retrouve aussi dans des Papyrus, notamment dans le plus célèbre, celui d’Ebers datant de 1550 avant J.C., des descriptions de patients atteints de soif, d’urines trop abondantes et du traitement de ces anomalies par des extraits de plantes.
Enfin, c'est chez les Grecs, considérés comme les meilleurs dans l’avancée de la médecine dans l’Antiquité, et qui recueillent tous les savoirs de leurs diverses colonies grâce à leurs qualités de marins qu'on découvre Arétée de Cappadoce, probablement le plus grand médecin de l’Antiquité gréco-romaine après Hippocrate qu'il succède de trois siècles. Il décrit le diabète sucré de façon tellement magistrale qu’il n’y aurait que peu à ajouter aujourd’hui. Ainsi, il parle du diabète comme d'une « maladie remarquable mais heureusement plutôt rare » qui « consiste en une liquéfaction des chairs et des parties solides du corps dans l’urine ». Il ajoute que « les reins et la vessie qui sont les passages habituels de ce fluide ne cessent d’émettre de l’urine, l’émission est profuse et sans limites » tout en analysant les conséquences sur la vie du patient : « le développement de la maladie est progressif mais courte sera la vie de l’homme chez lequel la maladie est complètement développée ». Il constate également, en plus d’une mort rapide « un amaigrissement rapide » et une « vie pour le patient […] difficile et douloureuse ». Comme ses prédécesseurs géographiques, Arétée explique que « le désir de boire devient de plus en plus impérieux mais, quelle que soit la quantité qu’il absorbe, la soif n’est jamais satisfaite et il perd plus d’urine qu’il ne boit » . Il conclut par la suite avec une phrase qui va marquer les siècles à venir : « D’où il me semble que cette affection a reçu le nom de diabetes, ce qui signifie siphon, car les fluides ne restent pas dans le corps qu’ils utilisent comme un canal à travers lequel ils peuvent passer ». C'est donc la première analyse véritable de la maladie que nous possédons aujourd'hui.
Dans l'occident chrétien, foi et loi donnent leur raison de vivre aux individus ; la vérité est universelle et n'admet pas facilement la remise en question. Cela n'empêche pas l'esprit humain de rechercher, mais il s'applique plutôt aux sciences descriptives, comme l'anatomie, qu'à celles qui remettent en cause les concepts ce qui explique le manque de découvertes scientifiques concernant cette maladie en Europe occidentale.
A la Renaissance, deux révolutions majeures : une spirituelle avec naissance des libres penseurs qui s'affranchissent de l'Eglise et une technique : explosion des innovations comme le microscope et le thermomètre qui bouleversent la médecine.
En 1543, André Vasale décrit le pancréas dans son traité d'anatomie, le premier de l'Histoire, De humani corporis frabrica libri septem,mais son rôle reste très classique : c'est un coussin protégeant l'estomac des chocs contre la colonne vertébrale et de ce fait aucun lien ne le relie au diabète.
A la fin du XVIIe siècle, Thomas Willis, médecin anglais, fils de fermier, s'oppose à ses prédécesseurs à propos du diabète : « Ce que la plupart des auteurs affirment est loin d'être la vérité […] car l'urine est étrangement sucrée [...] partiellement à cause du fluide créé quelque part dans notre corps ». Ainsi, Willis invente l'idée d'une correspondance entre le sang et l'urine des diabétiques.
Vers 1798, John Rollo en Angleterre, publie un article Observation de deux cas de diabète sucré dans lequel, probablement pour la première fois, un médecin propose un traitement logique et efficace au diabète sucré.
Le 12 juin 1796 le capitaine Meredith qui se trouvait dans le même régiment que Rollo vient consulter ce dernier car il a de la fièvre et a maigri de 28kg. Rollo note alors tous les symptômes du diabète et retrouve du sucre dans le sang et les urines. Pensant que le diabète sucré est une maladie digestive, il prescrit le 19 octobre 1796 au capitaine un régime à base de lait, pain beurre et viandes grasses faisandées associé à quelques médicaments de l'époque. Rollo y ajoute quelques soins supplémentaires notamment des frictions de la peau avec du lard. Il lui recommande également d'éviter les exercices physiques violents. Le 4 novembre, Meredith va beaucoup mieux et ses urines ne sont plus sucrées. Le traitement est néanmoins revu car le malade n'est pas complètement heureux : les frictions avec du lard lui sont très désagréables. Rollo simplifie donc le traitement et garde l'essentiel : alimentation animale et du sulfure d'ammonium qui a une action puissante sur l'estomac. Parallèlement, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, il demande à son patient diabétique de tenir un « carnet de surveillance » en notant soigneusement ses symptômes, son régime, ses médicaments et l'évolution de sa maladie. Le 30 décembre, Meredith n'a plus de symptômes du diabète . John Rollo devient le premier vrai diabétologue et invente les règles du traitement diététique ainsi que ce qu'on appelle aujourd'hui « l'auto-surveillance ».
Au XIXème siècle, quatre noms dominent : Bouchardat, Claude Bernard, Langerhans et Minkowski.
Tout d'abord Bouchardat met au point des règles diététiques pour les diabétiques appelées cure de Bouchardat contenant les aliments interdits ou à consommer avec modération tels que les féculents, le miel, les haricots ou encore la soupe à l'oseille, très à la mode à cette époque. La viande, les œufs, le fromage, le lait et la crème sont en revanche conseillés.
Plus tard, Claude Bernard apporte deux éléments essentiels en matière de diabète :
- L'homme est capable de fabriquer du glucose à partir des aliments qu'il consomme.
- Ce glucose est fabriqué par le foie.
Dans sa leçon faite au Collège de France le 30 janvier 1855 il compare le foie à une seringue emplie d'une solution de sucre injectée progressivement dans le sang selon les besoins. Si l'administration est trop brutale, le glucose apparaît dans l'urine et des symptômes de diabète se développent. Cependant, Claude Bernard ignore le rôle du pancréas dans le diabète donc son explication est erronée.
C'est finalement à Paul Langerhans que l'on doit la découverte des cellules pancréatiques qui fabriquent l'insuline. Il meurt en 1888 sans connaître l'importance fondamentale de la découverte qu'il vient de faire au microscope un peu par hasard grâce aux progrès de la physique optique de son époque. Le nom d'ilots de Langerhans est donné après sa mort par un autre médecin qui suggère que ces ilots de cellules pourraient bien fabriquer la substance influençant le métabolisme des sucres.
Îlot de Langerhans (masse claire) baignant
dans une mer d’acini séreux (masse violet foncé, sécrétant les sucs pancréatiques).
Enfin, le russe Oskar Minkowski accompagné de l'allemand Joseph von Mering mettent en évidence le rôle du pancréas dans le diabète. En effet, après l'ablation du pancréas sur un chien, Minkowski remarque dès le lendemain matin que le chien a déclenché un diabète sucré, il analyse alors les urines et y trouve une forte présence de sucre.
Ainsi, le rôle des grands cliniciens est extraordinairement important à un moment où les diabétiques insulinodépendants meurent inéluctablement. Pendant les vingt premières années du siècle des centaines de chercheurs essaient d'isoler l'insuline.
Quatre noms, couronnés par le prix Nobel de médecine en 1923, marquent la découverte de l'insuline :
- Fredéric Grant Banting, diplômé chirurgien, il dirige l'étude et se charge de la partie chirurgicale ainsi que de la surveillance des expérimentations.
- Charles Herbert Best, il est l'assistant de Banting et se charge de la partie technique et des dosages.
- James Richard Mac Leod, physiologiste fournit un laboratoire, un assistant et 10 chiens à Banting. Il renseigne, forme et guide Banting et Best dans leurs recherches.
- James Bertram Collip, physiologiste et biochimiste, il se charge d'isoler l'extrait pancréatique en quantité suffisante.
Banting et Best commencent leurs travaux le 16 mai 1921, de chien en chien, d'extrait en purification, Banting finit par disposer d'un produit qui lui paraît actif et digne d'être prescrit chez un être humain.
Le 2 décembre 1921 un jeune diabétique de 14 ans très gravement atteint, Léonard Thomson, reçoit des échantillons d'extraits pancréatiques avec un succès moyen mais qui lui permettent de survivre. Ce n'est que le 23 janvier que Collip réussit à préparer un extrait efficace qui sauvera réellement la vie du jeune homme. L'insuline est décrite est publiée dans le Journal of Laboratory and clinical Medicine de mai 1922 sous le titre de «Pancreatic exctract».
Le choc mondial de la découverte de l 'insuline n'aurait d'égal aujourd'hui que la découverte d'un vaccin anti-sida ou d'un traitement médical du « cancer » : sous l'effet de l'insuline, des hommes, des femmes, des enfants considérés comme perdus, souvent déjà comateux, reviennent à la vie.